La frustration est une gangrène à l’origine de tous les travers de Victor, l’adversité à laquelle il a été confronté pendant toute sa vie n’ayant été que le moteur de ses ambitions démesurées, de son insatiable soif de l’absolu et son irrépressible désir du tout : tout contrôler au point d’en être devenu acerbe et éternellement insatisfait, plongé dans une sempiternelle quête de richesse et de pouvoir. Il est de ces collectionneurs n’ayant fait qu’accumuler les trésors sans n’être jamais débarrassé de ce sentiment d’insatisfaction permanent, uniquement apaisé par cette sensation d’emprise qu’il peut avoir sur autrui, accroc à l'adrénaline qu'il ressent lorsqu'il s'agit de s’emparer de ce qui n’est pas à lui, ce qui lui est inatteignable et interdit. Les épreuves qu’il a dû surmonter ont bel et bien forgé ce caractère si incisif, cette force d’esprit écrasante et amorale. De ses contrariétés il a tiré une détermination accablante et ses incertitudes passées se sont transformées en une arrogance excessive, le péché d’orgueil est sans nul doute celui qui causera sa perte, aveuglé par cette confiance en soi parfois exagérée. Rares sont ceux qui savent mériter son respect, l'homme ne considérant comme son égal qu'une personne aussi forte d'esprit que lui, capable d'imposer crainte et autorité. Que ce soit par les mots ou la force, il sait arriver à ses fins et se délecte d’un refus, désireux de transformer un « non » en « oui », une résistance en soumission.

Et si sa force de caractère est son atout principal d’autres talents viennent compléter le personnage, à commencer par la connaissance qu’il manie comme un instrument du pouvoir, la culture comme arme ultime face à ceux qui pensent pouvoir le surpasser. Ce sont ses capacités intellectuelles qui lui ont permis de se hisser jusqu’au sommet, ses talents de réflexion et le large panel de savoirs qu’il maîtrise comme autant de couteaux à tirer lors d’une conversation ou d’une négociation. De la littérature anglaise à l’art contemporain, des premières notes de chefs d’œuvre de la musique classique au nom de tous les héritiers d’une dynastie russe, rares sont les informations qui échappent à sa mémoire et encore moins nombreuses sont celles qu’il ne peut pas retourner contre son interlocuteur. Intransigeance et perfection comme le couple qui régit sa vie, les piliers de sa réussite et de sa réputation. Il a la discipline à cœur et c’est à elle qu’il doit son succès. Tout penser pour ne laisser aucune trace et aucun recours, s’assurer que chaque détail soit rôdé jusqu’à créer quelque chose d’unique et de presque artistique. Il ne laisse aucune place à l’improvisation et maîtrise chaque aléa, comme un chef d’orchestre qui ne tolère aucune fausse note. Enfin, il a la violence froide au bout des doigts, celle qui n’est pas forcément animée par la colère ou la tristesse mais simplement infligée par l’absence d’états d’âmes et de compassion. La douleur comme un moyen d’arriver à ses fins, d’intimider les faibles et de corriger les forts. Il blesse comme on serre la main, entaille comme on coupe une viande et écrase comme on élimine une vermine. Mais s’il prétend toujours avoir le contrôle de son agressivité, une part plus fragile de lui sait être animée par la rage aveugle, comme si s’adonner à de violents rapports de force pouvaient lui permettre de prendre une revanche sur la vie, puisant sa force dans un sadisme latent et qu'il jubile à l'idée de l'exercer sur ses proies.

Il a la grandeur et la gloire distillées dans le sang depuis ses premiers instants, gosse de noble extraction à qui tout fut donné pour réussir, héritier de l’excellence anglaise dans tout ce qu’elle a de plus élégant et de pompeux. Unique enfant de la famille, il était le porteur d’espoir d’un patriarche vieux jeu ayant forcé sa mère à la maternité dans l’unique but d’avoir une descendance masculine. Dès sa plus tendre enfance, ce ne furent pas les taudis ou l’école publique qu’il fréquenta mais bel et bien le prestige de l’enseignement bourgeois et le faste des demeures huppées de la campagne anglaise. Lord comme titre auquel il était promis, il avait la courtoisie et le raffinement comme lignes directrices à suivre sans aucun faux pas, aucune erreur tolérée. Education rigoureuse et parfois tyrannique, jamais n’eût-il connu le répit ou l’indulgence, travaillé au corps et à l’esprit par celui qui voulait le voir lui succéder. Inévitablement, l’enfant se mit à prier chaque soir le Dieu qui saurait foudroyer ses geôliers, loin d’imaginer que son souhait réalisé ne ferait que rendre la situation plus détestable encore.

Une crise cardiaque vint emporter Montgomery senior alors que Victor n’était qu’un pré-adolescent, laissant la famille sans un homme fort pour la guider. Rapidement, les dettes et les erreurs du patriarche émergèrent, plongeant la lignée dans une inévitable faillite, forçant la mère à vendre et hypothéquer, à quémander de l’aide à des nobles n’hésitant pas à tourner le dos dès l’aumône pressentie. Le château devint appartement, les repas fastueux des boîtes de conserve et avant même que l’enfant atteigne la majorité, les lettres de noblesse auxquelles il aspirait s’avérèrent être un songe inatteignable, un vestige du passé. Plutôt que d’aller à l’université, il enchaîna les petits boulots et se mit à trainer dans la rue afin de rapporter de quoi payer le loyer. Pourtant, Victor avait tout du gentleman, de l’éducation aux talents variés, particulièrement doué en art et en littérature. La puberté avait également fait apparaître les traits marqués d’une virilité que l’on ne pouvait nier, véritable modèle de la masculinité des temps modernes, homme qui assume son genre dans ce qu’il a de meilleur comme dans ce qu’il a de plus abject. Son succès auprès des femmes et ses airs distingués comme seuls atouts pour se démarquer, il sut séduire une jeune étudiante de quelques années sa cadette et dont la famille avait des accointances dans le milieu artistique et celui de la pègre.

Alors l’occasion fut trop bonne pour ne pas s’en saisir, le jeune homme exposant ses talents afin d’attirer leur attention, d’espérer monter un coup qui le sortirait de son quotidien cauchemardesque. L’audace paya et ainsi, il put intégrer les rangs de la pègre en tant que faussaire et plus tard, receleur d’œuvres d’art. De l’artiste de rue anciennement noble et séduisant les jeunes étudiantes à la sortie d’Oxford, il devint en quelques années l’un des plus grands noms du marché noir d’antiquités et de l’art, se détachant même de la relation amoureuse illusoire qui lui avait permis de se lancer pour se mettre à son compte, quittant l’Angleterre pour ouvrir une galerie en plein cœur de New-York et blanchir la monnaie en continuant son business florissant. Manipulation, intimidation et chantage furent son quotidien, les soirées mondaines et la débauche offerte aux quatre coins du monde dont il se délecta sans retenue.

Mais la gloire et le succès ont cela d'étrange qu'ils sont voués à connaître des tourments et ces derniers se manifestèrent lorsque certaines branches de la police commençèrent à enquêter sur ses activités, entraînant une suite de perquisitions et de troubles qui menacèrent son train de vie. Et alors qu'il se sentait acculé, une mystérieuse enveloppe fit office de solution de repli parfaite pour lui : une invitation sur une île où tous les plaisirs seraient permis et où il saurait se faire oublier... Nulle hésitation traversa son esprit et avant même qu'une énième descente de police n'ait lieu à son domicile, il posa ses pieds sur l'île de tous les péchés.